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9/27/2018 0 Commentaires

Demande d'autorisation de séjour

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​   C’est un endroit coincé entre la bordure d’autoroute, les installations de fortunes et les immeubles qui vont vers la mer. C’est un endroit assurément installé à la va-vite et qui semble ne devoir rester que provisoire : quelques préfabriqués disposés en U. Au centre un espace d’attente avec quelques rangées de longs bancs en bois, protégées du soleil, ou éventuellement de la pluie, par un toit de tôle, imitation tuiles provençales, monté sur des piquets.
​Pour le district autour de cette petite ville côtière au nord de Beyrouth, c’est l’endroit où les syriens viennent faire renouveler, tous les ans, leur autorisation de séjour. Les syriens, seulement les syriens, tous les syriens, ceux qui vivent ici depuis longtemps comme les réfugiés. Du provisoire donc, mais qui s’installe dans la durée.

  A l’entrée de la cour, un soldat en uniforme de l’armée libanaise, motif camouflage, vérifie le contenu des sacs. Puis on s’arrête à une sorte de comptoir : un employé fait le premier tri, vérifie et tamponne tous les papiers. La personne que j’accompagne doit montrer dans le détail la liasse de justificatifs qu’elle apporte, avant de se voir attribuer un numéro qui va lui permettre d’être reçue par le bureau qui va, ou non, accepter sa demande de titre de séjour.

      En attendant je m’assieds sur un banc, parmi les autres syriens venus pour la même chose. Il y a des familles entières. Une jeune femme chrétienne, cheveux au vent, dont les deux enfants arborent, comme elle, une croix au bout d'une longue chaîne autour du cou. À côté, une fratrie musulmane, ils sont sept, de 6 à 18 ans, avec tous le même regard bleu et tranquille, le même air doux. Les quatre filles aînées sont voilées et habillées de longue robes ou manteaux. Tous attendent. Les plus jeunes s’impatientent, et se taquinent en silence, jeux de mains, petites tapes pour surprendre et ennuyer le plus proche, sourires en coin. 
​
    Je demande : tous les membres de la famille doivent se présenter ? Oui. C’est obligatoire, même si seul le père passe au guichet, l’employé demande parfois : ta famille est là ? Et jette rapidement un œil distrait dans la cour. Cela ne manque pas d’arriver : un employé en uniforme apparaît dans l’embrasure de la porte de l’autre préfabriqué, avec un homme d’âge moyen, qui indique du bras sa progéniture sur les bancs, au premier rang, bien visible depuis la porte. La mère, assise, tient ses enfants par l’épaule, les enjoint discrètement à se tenir droit. Tous sont habillés très correctement (pour l’occasion ?), bien coiffés. L’apparence a l’air de jouer un rôle important puisqu‘on me dit que certains adultes sont refoulés s’ils arrivent en short et non en pantalon dans la chaleur de l’été. L’employé passe les enfants en revue quelques secondes, hoche de la tête, rentre à nouveau dans son bureau avant que le père n’en ressorte, et que la famille quitte les lieux l’air satisfait.

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Mon accompagnateur a fait vérifier tous ses papiers. A reçu un numéro. Il faut attendre. Mais surprise, on l’appelle bien plus tôt que ce que le numéro ne laissait supposer. Le candidat est tendu, il dit : « Tout peut encore être remis en question : chaque fois, je crois avoir tous les papiers requis et l’employé découvre un document manquant et me demande de revenir : la demande n’est pas recevable. »
    Quand on l’appelle il disparaît dans un préfabriqué, je l’aperçois s’assoir face à un employé, sortir un à un les documents. Il ressort assez vite, l’air soulagé, presque goguenard, et me souffle « victoire ! » avec un geste furtif de la main, avant de s’engouffrer dans un deuxième préfabriqué, que je devine être le guichet bancaire, en tous cas celui où les demandeurs s’acquittent des taxes, timbres fiscaux ou autres droits de séjour ou frais de dossier… Il prend place dans la file. Puis en ressort, se dirige enfin vers le troisième préfabriqué, d’où était apparu l’employé en uniforme, auquel j’accorde maintenant plus de pouvoir qu’aux autres.
​     J’attends encore un peu. J’observe les va-et-vient des requérants et des employés entre les préfabriqués, selon un ordre que je ne comprends pas. Il y a aussi des femmes très assurées, en jean et le verbe haut, avec piles de dossiers sous le bras. Peut-être ce sont des avocates qui viennent défendre le dossier de certains réfugiés ? J’aimerais bien le croire. Au bout d’un moment, la personne que j’accompagne réapparaît, tenant fièrement un récépissé tamponné : la demande est en cours. Réponse dans 25 jours, ou dans 2 mois. Avant de recommencer l’année prochaine.


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9/18/2018 0 Commentaires

Les méandres de la recherche

  Voilà donc plus de deux semaines que je suis là. J’habite cette ville. J’essaie d’y trouver des repères, des rythmes, des temps de travail. 
J’organise mes journées en fonction des 3 heures quotidiennes de coupures d’électricité, chose que je connaissais de séjours précédents. J’organise mes journées en fonction du bruit des chantiers qui environnent l’appartement dans lequel j’habite. En fonction de disponibilités des gens, et des rencontres que j’arrive à obtenir. En fonction de la multitude de sollicitations culturelles : films, présentations de publications, débats …
  J’écris des mails, je contacte des gens, de manière un peu naïve sans doute, attendant sans doute qu’on m’accueille… qu’on organise pour moi, que le contact soit facile, qu’on manifeste compréhension et intérêt pour ce projet que je me propose de faire. Les gens que je contacte sont soit des artistes, engagés dans leur propres travaux et processus de création, soit des humanitaires, pris dans les rets de leurs obligations, des programmes des organisations humanitaires.
  Ici les contacts se font par recommandations personnelles. Il y a toujours deux phases : une première prise de contact : je vous contacte de la part d’un tel pour ceci. Message suivi toujours d’une réponse très rapide et très positive : « Mais bien sur ! Bienvenue ici ! Appelle quand tu seras là ! » On pourrait en rester là. Mais je réitère : « En fait je suis déjà là. Quand pourrait on se voir ?» S’en suit une deuxième phase : une série d’échanges, de courts messages, d’appels téléphoniques manqués… Ces allers-retours de la communication sont caractéristiques de cette ville où pourtant tout va très vite  ! Les Beyrouthins jonglent souvent entre plusieurs emplois complémentaires les uns des autres, entre différents lieux, affrontent quotidiennement des embouteillages monstrueux.  Et quand la prise de contact survit à la confusion de cette deuxième phase, je rencontre la plupart du temps des gens charmants, qui font tout pour apporter un aide judicieuse, un contact personnel qui va vraiment ouvrir des portes !
  Voilà donc plus de deux semaines que je suis là et je m’impatiente un peu. Je trouve que les choses ne vont pass assez vite, que je ne suis pas assez active, qu’il faut mettre à profit ce temps si précieux, qui file si vite.
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​Hier Omar, auteur et metteur en scène syrien réfugié ici depuis 6 ans décrivait comment son activité cérébrale dépend de l’arrivée de l’électricité (lumière, ventilateur, air conditionné, internet, je m’assieds à ma table de travail) ou de sa disparition (je reste assis à ma table de travail, dans le noir et la moiteur, et mon cerveau s’effondre doucement sur lui même) … je me sens très solidaire de cette expérience…
  Et puis tout change. Jeudi 13 septembre, nous réalisons une première interview. Avec Omar donc, auteur et metteur en scène syrien. Nous nous connaissons déjà un peu, et il a accepté de nous servir de « cobaye », de se prêter au jeu des questions, afin même de pouvoir les remettre en question.
Omar commence par une mise en garde de taille. Tout ce qui va être dit est bien réel. Ce ne sont pas des histoires, bien que je veuille en faire les lignes narratives d’un spectacle à venir.  Il me rappelle : toi tu es loin de nous, de notre réalité, mais ce ne sont pas des historie, ce sont nos existences.
  Puis l’interview est passionnante, il parle avec intelligence et humour des situations terribles qu’il a traversées, de la rapidité avec laquelle il a pris des décisions irrévocables et lourdes de conséquences.  Il parle de la combativité et du désespoir, de la façon dont le regard qu’il porte sur l’existence a changé. De la façon dont son existence elle-même a changé. Il raconte comment depuis qu’il est à Beyrouth, il ne sort quasiment plus de chez lui mais a besoin de temps. Pour penser. Réfléchir. A lui même et au monde. Omar a une connaissance solide de l’histoire, et une réflexion très profonde sur l’état socio-politique du monde arabe, sur ses complexités communautaires. Et beaucoup d’humour. C’est rare.
  C’est le premier moment où je suis convaincue de la nécessité de ce projet et de ces paroles, et de ma présence ici.  Le temps n’a plus d’importance : ce qui importe c’est de récolter cette parole, d’offrir cet espace de réflexion et de formulation. Puis de trouver la forme adéquate pour partager ces trajectoires personnelles.
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  La différence qui me saute aux yeux immédiatement, c’est le gouffre  entre mon hypothèse de travail (les réfugiés sont confrontés à une nécessaire mobilité de leur identité individuelle, ils doivent changer pour continuer d’exister, construire une nouvelle vie, et ce mouvement est aussi un mouvement d’émancipation) et la situation des réfugiés syriens au Liban.
  Les syriens n’ont pas d’avenir au Liban, ils sont soit en attente de réinstallation dans un pays européen (dans le cadre des programmes de  l’UNHCR), soit dans l’attente d’un retour, même forcé, que l’Etat libanais encourage fortement. Ils ne peuvent pas se projeter dans un futur dont ils seraient les auteurs ou les acteurs, ils ne peuvent pas imaginer construire un devenir social ici, puisqu’ils n’accèderont pas au statut de résident.
Pour exemple ce syrien rencontré dans la Békaa, marié à une libanaise depuis 1983 ( il était alors membre de l’armée syrienne, donc de l’armée d’occupation !), et père de 5 enfants : les filles ont épousé des Libanais, elles ont ainsi accédé à la nationalité libanaise, et peuvent s’intégrer dans la société, les fils  restent de nationalité syrienne et n’ont de ce fait pas accès à nombre de profession : un de ses fils  par exemple a fait un double cursus d’études : il est ingénieur et avocat, mais occupe un emploi subalterne dans une fabrique de papier.
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9/10/2018 0 Commentaires

Premiers jours


Il y a quelque chose de très ambivalent pour moi dans le fait de venir ici à Beyrouth.
Cette ville détruite par des années de guerre, par des années de spéculation immobilière et de corruption, de construction sans aucun sens de l’urbanisme.
Il y a quelque chose de très ambivalent pour moi dans le fait de venir chercher ici des traces de l’histoire syrienne. Tous les bâtiments ici rappellent la guerre, tout comme l’hélicoptère qui passe au-dessus de moi en ce moment, tous les bâtiments me rappellent ceux que je ne verrai pas :  ceux qui sont à 90 km d’ici, de l’autre côté de la frontière.
Les villes syrienne détruites que je ne verrai pas : les bâtiments, la vie quotidienne pendant la guerre,  tous ces petits arrangements que les gens ont dû faire pour continuer de vivre : récupérer l’eau, détourner les tuyaux, rétablir l’électricité, toutes ces stratégies pour réparer après un bombardement, un obus…  Survivre. Résister à la chaleur, déjouer les intempéries.
Il y a quelque chose d'ambivalent à être ici. Dans cette ville où je peux indifféremment parler le français et l’arabe, laisser planer le doute sur mon identité et mes origines. Être heureuse quand on ne me pose pas la question, quand je passe incognito pour une chrétienne du quartier en achetant mes nus pieds à 10 000 lires libanaises, c’est à dire 5 €. Être maligne quand on me pose la question « Vous êtes libanaise ? » et répondre en évitant les révélations qui fâchent, « Je suis française mais j’ai des origines ici » . Quand on me félicite de mon arabe… Ne pas dire dans ce quartier très chrétien et très à droite (les affiches annonçant les activités scouts de l’église du quartier arborent des photos de jeunes faisant un salut.. presque hitlérien…) que je suis d’origine syrienne. Au risque de voir la bienveillance de mon interlocuteur disparaître. Mais je fais attention, je m’adapte, je  me fonds.
Je marche dans les rues de Furn El Chebback, mon œil est attiré immanquablement par les traces, les cicatrices des combats, les détails qui ont été refaits et qui tentent de masquer les trous en rafale sur une façade,  tiens-là  les marches d’escalier rabotées par peut-être des éclats d’obus , un petit balcon rafistolé, là encore les gens continuent de s’accrocher pour vivre. Il me semble urgent de voir cela avant que tout ne soit remplacé. Car partout on construit. Partout des chantiers. On construit des tours résidentielles, qui semblent rester vides, celle qui est à 5m de notre immeuble est de 12 étages, il y a 2 appartements occupés, un au 4e, l’autre au 9e étage. Le soir, je peux voir la bonne philippine qui prépare le lit des enfants. On continue de détruire Beyrouth pour laisser la place à de grandes tours sans homme et sans style, il faut bien le dire. 
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​   Cette espèce d’acharnement de l’œil à débusquer les traces de la guerre et des stratégies de survie sur les bâtiments me rappelle mes premiers temps à Berlin bien-sûr. C’est la même obsession. Mais cela me rappelle aussi mes promenades dans les contreforts du Tibet avec Didier il y a quelques années. Être le spectateur d’un monde qui disparaît, voilà peut-être ce qui m’intéresse le plus. Non pas ce spectacle de la disparition mais plutôt être le scrutateur de ce qu’il reste,  de ce qui s’acharne,  de ce qui demeure, de ce qui résiste à l’effacement et à la disparition. 

Ici de mon balcon je ne peux pas voir les montagnes qui sont en face de moi. Leur sommet disparaît dans la brume, sous l’effet de la chaleur ou de la pollution ou des deux à la fois. Je repère les lumières urbaines qui grimpent le long des flancs, qui s’évanouissent dans la brume. Je sais que de l’autre côté des montagnes, derrière le Mont Liban  il y a la plaine de la Bekaa. Je sais qu’après il y a la frontière syrienne. Donc si je regarde vers les montagnes, au bout de cette route qui grimpe dans la ville, de l’autre côté c’est Damas. 
   Damas c’est encore plus mystérieux pour moi, je m’y sentirais encore plus étrangère.  A Damas, à Alep, à Homs, je ne pourrais pas laisser aller mon regard à faire l’état des lieux des destructions, à traquer les traces de la guerre. Beyrouth est pour moi une ville de substitution. Comme Berlin était une ville de substitution il y a des années. Et c’est dans ces villes de substitution que je me sens le mieux, pouvant jouer des allées et venues, des détours, tant géographiques qu’identitaires.
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    Auteur

    Leyla-Claire Rabih est metteur en scène et traductrice. Formée à la mise en scène à Berlin, elle travaille en France et en Allemagne et axe son travail autour des écritures contemporaines. Elle dirige la compagnie Grenier/Neuf, installée à Dijon. De 2011 à 2018, elle co-dirige, avec Frank Weigand, « SCENE», anthologie de textes de langue française traduits en allemand. Depuis 2013, elle travaille autour de la Syrie et crée Chroniques d’une révolution orpheline, à partir de trois textes de Mohammad Al Attar.

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